La Chaux : pour ceux qui veulent tout savoir ou presque !
(Source Maisons Paysannes de France)
Pourquoi les enduits "à la chaux grasse"
Jusque vers 1930, dans nos campagnes, les enduits étaient toujours exécutés avec un
mortier fait de chaux vive (ou chaux grasse, ou encore chaux aérienne) et de sable de
carrière, contenant un peu d'argile colorée, plus ou moins tamisé suivant les régions.
Il suffit d'examiner de près de tels enduits anciens pour se rendre compte qu'ils ont la
couleur du sable employé et non celle du liant ; c'est ce qui leur donne cette teinte
chaude que nous leur connaissons bien et qui en fait la beauté.
La chaux vive provenait de la cuisson de pierres calcaires dans des fours à chaux et
était livrée sous forme de morceaux ayant conservé la forme des pierres dont ils
tiraient leur origine. La chaux vive a été abandonnée à cause de la difficulté de son
emploi; avant de préparer le mortier, il était nécessaire de l'amortir, c'est-à-dire
de "l'éteindre" avec de l'eau (de l'hydrater) ; ensuite, on mélangeait la
pâte ainsi obtenue au sable, opération longue et relativement pénible, qui surtout
excluait l'emploi d'une bétonnière, car ces machines ne peuvent pas mélanger une pâte
(la chaux éteinte est humide) à consistance de fromage blanc, avec une poudre (le
sable).
C'est pour cette raison que, peu avant la dernière guerre, l'emploi de la chaux
hydraulique (ou du ciment) s'est généralisé, le travail étant rendu plus aisé, car le
mortier peut être fabriqué dans une bétonnière. Mais les enduits ainsi obtenus ont la
couleur de la chaux hydraulique ou du ciment, car ces liants enrobent et cachent les
grains de sable. Les enduits sont donc plats, froids, uniformes et d'une couleur bien
souvent peu agréable : ou trop foncés, souvent gris presque noirs, ou trop blancs (sauf
quand on les colore artificiellement).
Les enduits à la chaux grasse, avec un sable légèrement argileux ont au contraire la
couleur du sable (en plus clair), parce que les grains de sable de surface ne sont
recouverts que par une très fine pellicule de lait de chaux, qui disparaît rapidement.
De plus, les enduits à la chaux hydraulique ou au ciment présentent pour les murs
anciens en moellons souvent maçonnés avec de la terre, l'inconvénient d'être
imperméables, d'empêcher les murs de respirer et d'y enfermer l'humidité.
Nouvelle technique
On fabrique depuis quelque temps, sous le nom depuis peu normalisé de "chaux
aérienne éteinte pour le bâtiment" (naguère appelée fleur de chaux) que nous
désignerons dans ce qui suit par l'abréviation CAEB, de la chaux grasse, éteinte en
usine, livrée en poudre, en sacs, d'une présentation très semblable à celle de la
chaux hydraulique ou du ciment et d'un emploi aussi facile : le mortier est confectionné
dans une bétonnière en y versant le sable, la CAEB et, après mélange, en y ajoutant de
l'eau. Grâce à ce progrès de la technique moderne, on peut donc exécuter à nouveau,
mais beaucoup plus facilement, des enduits de même qualité que jadis. La couleur obtenue
dépend de celle du sable ou du mélange de sable utilisé et de la proportion de chaux.
Le résultat de cette révolution est qu'il n'est plus question d'utiliser la chaux vive
en morceaux d'autrefois, pas plus que la chaux vive broyée dite agricole, sinon à titre
d'amusement ou d'expérience "rétro". Etant donné le prix actuel de la main
d'uvre, seule la CAEB est à conseiller pour les enduits à la chaux grasse ; le
coût n'en est pas plus élevé que lorsque le liant est de la chaux hydraulique.
Différentes sortes de chaux
Etant donné la confusion qui règne souvent dans l'esprit de beaucoup d'utilisateurs,
aussi bien propriétaires de maisons à restaurer, que maçons ou marchands de matériaux,
entre les divers produits appelés chaux, nous croyons utile de donner des précisions.
Pour ceux qui sont quelque peu familiers avec la chimie minérale, nous avons cru bon
d'agrémenter notre exposé de quelques formules chimiques qui leur faciliteront la
compréhension et nous nous excusons auprès de ceux qu'elles pourraient rebuter.
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Voici donc les divers matériaux habituellement appelés chaux :
1. Chaux vive - (formule : CaO, c'est-à-dire oxyde de calcium Ca). Elle est obtenue en
morceaux par calcination, à environ 900°, de morceaux de pierre calcaire qui est du
carbonate de calcium (CO3Ca, ou si l'on veut C02.CaO). La calcination provoque le départ
du gaz carbonique ou dioxyde de carbone (CO2) et il reste la chaux (CaO). C'est le
matériau qui était utilisé par les maçons depuis 2000 ans et encore il y a 50 ans,
mais qui a été complètement abandonné par eux à cause de la nécessité de
l'éteindre (ou amortir, c'est à dire hydrater: CaO + H20 = Ca (OH) 2. Comme nous l'avons
dit plus haut, cette opération sur le chantier était longue (il fallait attendre entre
12 et 24 heures avant emploi, pour être sûr d'une extinction complète) ; le mélange
lui-même avec le sable était long, pénible et fastidieux, coûteux en main-d'oeuvre. La
chaux vive est cependant encore utilisée en maçonnerie dans certains pays
méditerranéens ou d'Europe Centrale. En France, la chaux vive est toujours employée
dans l'industrie chimique et surtout dans la sidérurgie, où elle opère la
déphosphoration des fontes phosphoreuses de Lorraine, lors de leur transformation en
acier. Les scories de déphosphoration, résidus de l'opération, constituent un engrais
très apprécié. La quantité de chaux vive consommée annuellement en France par
l'industrie est de 4 millions de tonnes. On voit que, si les petits fours à chaux de nos
compagnes sont hélas presque tous arrêtés et réduits à des ruines, il n'en est pas de
même des grandes fabriques de chaux industrielle.
2' Chaux agricole - C'est de la chaux vive broyée, destinée à être épandue dans les
champs lorsque la terre trop acide, argileuse et surtout siliceuse, manque de calcaire. On
pourrait l'employer à la confection des mortiers, mais à la condition de l'éteindre
avant emploi et on retomberait sur certains inconvénients que nous avons mentionnés.
Elle est donc à proscrire.
3' Chaux aérienne éteinte - C'est le nom du produits obtenu par extinction de la chaux
vive en usine (Ca (OH) 2), livré en sacs sous forme d'une poudre sèche. C'est ce produit
qui fait l'objet de la présente note. Certaines usines la produisent en grande quantité
pour tous les emplois où, dans l'industrie chimique, la chaux doit être utilisée en
présence d'eau (c'est le cas bien évidemment où la chaux est utilisée à l'épuration
des eaux). Il est préférable de procéder à l'extinction de la chaux (hydratation) chez
le fabricant plutôt que chez l'utilisateur. C'est pourquoi se sont créées les douze
importantes fabriques françaises de chaux éteinte qui au total en produisent
annuellement 400 000 tonnes.
Lorsque cette chaux est vendue pour la fabrication de mortiers et d'enduits, sa
dénomination officielle est : "Chaux Aérienne Eteinte pour le Bâtiment" et
elle fait l'objet de trois normes AFNOR (Association Française de Normalisation). La
norme P15-510 en donne la définition. Les normes P15-512 et P15-513 définissent les
essais de contrôle de qualité.
C'est cette "CAEB" qui doit être utilisée pour la confection moderne des
mortiers dits "à la chaux grasse", à l'exclusion de toute autre. C'est donc
celle-là qu'il faut exiger des usines qui en fabriquent ou des revendeurs.
On voit par ce qui précède, par l'importance des tonnages que nous avons indiqués, que
la chaux vive n'est pas un matériau rare désuet et que la chaux éteinte, matériau
nouveau, est fabriquée en grande quantité en douze points du territoire. Il est facile
de s'en procurer à condition que les marchands de matériaux s'en approvisionnent (qu'on
la leur réclame...) ou à défaut que l'on prenne livraison directement à l'usine si
elle n'est pas trop éloignée.
Nota. - Certaines "chaux" contiennent une forte proportion de magnésie, corps
chimiquement voisin de la chaux ; ces chaux dites dolomitiques, produites dans l'Ouest de
la France, conviennent aussi à l'exécution d'enduits.
Durcissement et prise de la chaux. Pour terminer, en nous excusant de faire encore une
fois appel à des notions de chimie, rappelons que la chaux grasse (ou la CAEB) durcit par
absorption du gaz carbonique (CO2) que contient toujours l'atmosphère, en faible
quantité, pour reformer du carbonate de chaux, c'est-à-dire, en fait, de la pierre
calcaire : Ca (OH) 2 + C02 = C03Ca +H20.
Cette recarbonatation est lente et donc aussi le durcissement du mortier : il faut
plusieurs semaines ou mois. Il est évident qu'elle ne peut se produire qu'en présence
d'air (contenant du gaz carbonique) et c'est pourquoi cette chaux est appelée
"aérienne". La prise ne peut se produire sous l'eau, par exemple, contrairement
aux ciments. Elle est d'autant meilleure que la couche est plus mince. Un mortier de chaux
grasse peut être conservé pendant assez longtemps, tout préparé, en attendant son
emploi, à la condition qu'il soit mis à l'abri de l'air.
Il est nécessaire d'éviter un séchage trop rapide (soleil). Dans le cas des enduits
intérieurs, il faut une très forte aération pour renouveler le gaz carbonique absorbé
par la chaux.
4' Chaux hydrauliques
Il y a, en fait, deux sortes très différentes de chaux hydrauliques :
- la chaux hydraulique naturelle (nommée quelquefois chaux blanche"), indiquée sur
les sacs "XHN", qui est assez proche de la Chaux Aérienne Eteinte pour le
Bâtiment (CAEB).'
- la chaux hydraulique artificielle, appelée sur les sacs "XHA", qui est très
proche du ciment. Disons, en gros, que c'est un ciment riche en chaux. Elle devrait porter
une autre dénomination que celle de "chaux".
Voici quelques précisions :
- La chaux hydraulique naturelle XHN est fabriquée comme la chaux aérienne, à partir de
pierres calcaires, mais contenant un peu de silice, ce qui la rend légèrement
hydraulique et entraîne une prise plus rapide. Si on l'utilise à la confection
d'enduits, ceux-ci ont une teinte moins agréable qu'avec la CAEB. Mais sa prise plus
rapide est avantageuse lorsque l'épaisseur du mortier est forcément grande (solins), ou
lorsque l'on peut craindre une dégradation par la pluie (faîtage de couverture), ou,
dans le cas des enduits intérieurs (pure ou en mélange avec de la CAEB), lorsqu'on ne
peut pas être assuré de l'intense aération qui est nécessaire à la recarbonatation.
On peut de même, dans ces cas particuliers, et dans ceux-là seulement, utiliser de la
CAEB additionnée de ciment blanc (maximum 10 à 15 %).
- la chaux hydraulique artificielle XHA, très proche du ciment, présente les mêmes
inconvénients que ce dernier (trop grande étanchéité, aspect gris et froid). Elle est
à proscrire.
Emploi de la chaux grasse à la confection d'enduits.
Il n'est pas question d'établir ici un traité de l'exécution des enduits, mais
seulement de donner un certain nombre d'indications relatives à l'emploi, un peu oublié
depuis 50 ans, de la chaux grasse (et plus spécialement de la CAEB).
L'exécution d'un simple jointoyage à joints beurrés est à la portée d'un profane.
Mais l'exécution d'un crépi est un art et il est conseillé de confier ce travail à un
maçon du pays ayant une bonne pratique. Il y a lieu toutefois de recommander de ne pas
donner à l'enduit une trop grande épaisseur; ils ont quelquefois cette tendance car ils
sont influencés par leur habitude de travailler sur des constructions modernes dont les
murs minces sont en briques creuses, parpaings ou agglomérés ; or cette technique est
toute différente de la technique traditionnelle. L'épaisseur d'enduit sur les parties
les plus saillantes des moellons ne devrait pas dépasser un centimètre.
A l'intérieur, il est préférable d'éviter la pierre apparente et donc d'exécuter un
enduit complet. Pour les extérieurs, la question se pose : faut-il faire une enduit
complet (en réservant, bien sûr, les pierres de taille des entourages d'ouvertures et
des chaînages) ou exécuter un enduit à pierres vues où quelques moellons seulement
sont en partie visibles ? Ou faut-il se borner à "beurrer les joints" de
manière à laisser apparente une petite surface de chaque moellon? Nous répondrons qu'il
faut tenir compte des habitudes locale anciennes. Dans le cas d'une pierre calcaire tendre
et gélive, il y a intérêt à beurrer les joints pour mieux laisser 'respirer la
pierre'. De toute manière, les joints ne doivent être ni en creux, ni en relief : ils
doivent affleurer la pierre. Chaque pierre doit être vue sur une petite partie de sa
surface. Proscrire une certaine mode qui consiste à laisser apparaître par ici par là
une pierre au fond d'une cavité dans un enduit trop épais.
Composition du mortier - Le sable doit être légèrement argileux et coloré donc non
lavé. Un sable lavé donnerait un enduit blanc avec la plupart des CAEB. Pour les
extérieurs, dans certaines régions, il est utile que le sable contienne une certaine
proportion de grains pouvant aller de 3 jusqu'à 8 ou 10 mm, ceci afin de donner un
certain relief comme sur les enduits anciens. Dans d'autres régions (Ile de France,
Picardie, ... ) le sable doit être fin, sans grain. Il faut se conformer aux traditions
locales. Pour les intérieurs, il doit toujours être finement tamisé.
Les proportions de chaux et de sable peuvent varier suivant la nature et la densité de la
CAEB, également suivant la granulométrie et la teneur en argile du sable (moins de chaux
s'il y a beaucoup d'argile). En tout état de cause, il est nécessaire de procéder à
des essais sur de petites surfaces avec des sables ou mélanges de sables différents,
avec des proportions de chaux différentes, afin de juger de la couleur obtenue et de la
tenue du mortier.
Sous ces réserves et à titre d'exemple, nous dirons que nous employons avec de la CAEB
de St-Gaultier (Indre) et du sable provenant de carrière voisines de la rivière la
Creuse, une proportion en volume de 1 de chaux pour 3 de sable pour les extérieurs, 1
pour 2 à l'intérieur.
Dans le cas d'enduit plein, il est nécessaire de poser une première couche (gobetis).
Une seconde et dernière couche est appliquée par la suite. Mais il faut que la première
ait fait prise ; dans le cas de la CAEB, il faut attendre plusieurs semaines ; si l'on
veut gagner du temps, on peut exécuter la première couche avec un mortier mixte composé
de CAEB et de chaux hydraulique. En principe ces deux couches doivent suffire ; cependant
il faut tenir compte de l'adhérence du mortier sur la pierre ; elle dépend de la nature
de cette dernière : il est évident que l'adhérence n'est pas la même sur un moellon
calcaire ou sur un moellon gréseux ou granitique.
Suivant les usages locaux, le mortier peut être soit gratté avec le tranchant de la
truelle, soit lissé avec le plat de celle-ci, puis brossé ou non.
Pour les enduits extérieurs, on peut toujours en suivant l'usage de la région soit les
gratter, soit les lisser comme ci-dessus, soit passer une taloche. Il faut de toute
manière éviter une trop grande planéité et au contraire suivre les ondulations de la
maçonnerie.
Pour les enduits intérieurs, la taloche en plastique donne des enduits très lisses. Dans
certaines régions, seule la truelle est utilisée. Suivre les usages locaux anciens.
Tout ce qui précède concerne les enduits sur murs en maçonnerie traditionnelle de
moellon. Sur des matériaux modernes (briques creuses, etc.... ) des précautions
spéciales sont à prendre ; mais ce n'est pas de ce problème que nous avons voulu
traiter ici.
Réglementation - L'ancien DTU 26-1 (Document Technique Unifié), sur les enduits, ne
concernait que les enduits à base de liants hydrauliques : il n'y avait aucune
réglementation concernant les enduits à la CAEB. Un nouveau DTU 26-1 a été publié en
juin 1990. Il comble cette lacune. Il est publié par le Centre Scientifique et Technique
du Bâtiment, 4 avenue du Recteur Poincaré, 75116 PARIS.
Toutes les méthodes recommandées par MPF sont autorisées par le DTU. Mais, à
l'inverse, certaines méthodes autorisées par le DTU sont désapprouvées par MPF.
Source : Jean-Louis SOUBRIER, ingénieur ECP, Maisons Paysannes de France, Réédition
1995
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